Pour ceux qui me l’ont demandé…
« Dis Papa, c’est quand qu’on va où ? » A la fin des années 60, j’en avais marre de mon analyste de l’institut, un Freudien pur et dur, orthodoxe, assez froid et parfois cassant, je sentais que ça ne « collait pas ». Il me vint cette envie d’aller faire un tour du côté de chez Lacan !
Ses écrits et son génie, ses séminaires, auxquels j’avais assisté, tout me fascinait chez lui !
Je m’en ouvris à mon thérapeute. Sa réponse fut cinglante « c’est une fuite, vous cherchez un Père ! »
Peut être, rétorquai-je, mon avenir m’appartient !
Et puis ces séances ou n’ayant rien à dire et qui se soldaient par l’éternel « on va s’arrêter là, pour aujourd’hui » me devenaient insupportables, la cure analytique doit être humaine.
Lacan était psychiatre et, à ce titre, recevait tout ce qui souffrait. Que de « paumés » et de misères ai-je croisés, déambulant dans les pièces attenantes à son cabinet !
Et des « figures » du tout Paris artistique, intellos, journaleux, soixante-huitards attardés, j’en passe, car être analysé par Lacan, mazette, ce n’était pas rien, surtout dans cette société du paraître.
Il me reçut, 2 mois après avoir pris contact avec sa secrétaire !
Première consultation
Assis dans la salle d’attente, je me suis demandé où j’étais et une irrésistible envie de fuir m’envahit (n’étais-je pas en train de réaliser un fantasme ?) Enfin la porte s’ouvrit !
Il apparut, magnifique, un quelque chose se dégageait de cet homme, posé, cheveux blancs, à la fois un rayonnement naturel et en même temps cette simplicité qui sied à ces hommes confrontés à la misère humaine.
Il balaya du regard la salle d’attente, semblant chercher, et puis d’une voix traînante et douce m’interpella Mr…. Je me levai « entrez, je vous prie, asseyez-vous ». Il me fixa (ah le regard de Lacan !) « qu’est ce qui ne va pas » ? Je me mis à bafouiller lamentablement « heu … voila, j’aimerais faire une analyse avec vous ».
Hum…vous faites quoi ? Je travaille dans la presse ! Il se leva « c’est gênant, vous voulez devenir analyste » non répondis-je ! Il me regarda, plutôt il me toisa, « c’est qu’une analyse, c’est cher », oui je sais, acquiesçai-je mais je suis prêt à en assumer le coût !
« Demain je vous verrai à 15h ! »
Voyez avec Gloria. (Je passe les détails du paiement des séances !)
Pourquoi m’avait-il « accepté » en analyse ? Je ne le saurai jamais. Peut être avait-il senti quelque chose ignoré de moi ?
J’y resterai quelque temps.
Et quelle aventure !
Horaires flexibles, séances très courtes ou longues, silences, moments d’agacements et moments de libération aussi alternaient.
Très loin du ronronnement soporifique des analyses orthodoxes !
Quelque chose comme une alchimie, carcan insupportable et plénitude à la fois, indéfinissable, surprenante, toujours différente…
J’en sortais enchanté ou grincheux, parfois désemparé, mais toujours transformé et souvent dubitatif !
Sa disparition m’a bouleversé
Un jour, plus tard, où je m’étais égaré du coté de Mantes la Jolie, je tombais sur un panneau indicateur « Guitrancourt » 2km. C’est là qu’il repose, pensais-je (qui a dit qu’il n’y avait pas de hasard dans l’inconscient ?)
« Je m’obstine et je disparais » furent ses dernières paroles …
J’y vis un signe, irrésistible et décidai de me rendre au cimetière.
Une tombe, une inscription -- JACQUES LACAN-- je me recueillis, seul, soudain je ne pus réprimer un profond sanglot, tant de souvenirs de ma jeunesse, de ma vie, de mes espoirs aussi.
Un moment de blues insupportable, je quittai ce lieu désert.
En rentrant chez moi,quelque part soulagé, en pensant à cette période de mon existence qui remontait en moi une montagne de souvenirs, d’affects, quelque chose des tripes, loin des théories hermétiques…
Des souvenirs colorés, loin d’être négatifs, un travail de reconstruction, lent, bousculant souvent pénible, mais qui m’avait obligé à l’humilité et à ma remise en question…
N’était ce pas cela que j’étais venu chercher ?
Ma vie, c’était comme un train qui m’emmenait où je ne désirais pas aller, en passant par des gares que je n’aimais pas, vers un pays que je ne désirais pas (ha ! l’inconscient !)
Un destin tout tracé et non accepté que je refusai de vivre.
C’était bien le but de mon analyse.
Mettre à nu ce mécanisme qui me dictait sa loi.
Il m’a aidé à le décoder, en mettant un grand coup de pied dans la fourmilière de mon passé, et surtout de mes illusions et mes certitudes, car je compris que j’étais bien dans la tendance à la répétition si chère à Freud. (Et si vraie !)
Enfin distinguer l’essentiel de l’accessoire et le principal du superflu.
Par petites touches et à coup de prises de conscience je compris que j’étais un roitelet en ma demeure !
Mon horizon semblait se dégager, je sentais la possibilité d’un avenir différent en m’éloignant d’un passé complexuel et lié à une enfance difficile que je n’avais pu que subir !
Quelque chose de neuf comme une grande respiration naissait en moi, et l’espoir d’autre chose…
Du Père au pire, ou du Pire au Père… ?
A suivre…
Amitiés
Sigmund